12/9/2020
La production d’une preuve illicite (parce que constituant des données à caractère personnel n’ayant pas l’objet de déclaration préalable à la CNIL) n’est pas nécessairement irrecevable. Les juges doivent au préalable effectuer un contrôle de proportionnalité.
Un salarié de l’AFP, également correspondant informatique et liberté au sein de l’agence, est licencié pour faute grave, pour avoir adressé à une entreprise cliente et en même temps concurrente de l’AFP, cinq demandes de renseignements par voie électronique en usurpant l’identité de sociétés clientes.
L’AFP établit les faits reprochés au moyen d’un constat d’huissier et d’un expert informatique qui identifient, grâce à l’exploitation des fichiers de journalisation conservés sur ses serveurs, l’adresse IP à partir de laquelle les messages litigieux ont été envoyés, comme étant celle de ce salarié.
Le salarié conteste son licenciement considérant que lamesure n’était pas justifiée par des éléments de preuves licites, les fichiers de journalisation n’ayant pas fait l’objet de déclaration à la CNIL.
La Cour de cassation se prononce pour la première fois sur la question de savoir si une adresse IP et des fichiers de journalisation constituent des données à caractère personnel dont le traitement doit faire l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL selon les articles 2 et 22 de laloi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 (antérieurementà l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données).
La Cour répond par l’affirmative : les adresses IP constituentdes données à caractère personnel car permettant d’identifier indirectement une personne physique et leur collecte par l’exploitation d’un fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel qui doit faire l’objet de la déclaration préalable (avec le RGPD il n’y a plus de déclaration préalable obligatoire mais une information des salariés sur les possibilités de traçage de leur matériel informatique).
La Cour de cassation avait également à se prononcer sur la licéitéde cette preuve.
Dans le cadre d’une audience devant le Conseil de Prud’hommes, chaque partie doit prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de ses prétentions. En matière prud’homale, la preuveest libre. Toutefois, les moyens de preuves obtenus grâce à un stratagème, de manière déloyale sont jugés irrecevables.
Jusqu’alors et s’agissant de fichiers devant faire l’objet de déclaration à la CNIL, la Cour de cassation jugeait qu’une telle preuvedevait dans tous les cas être rejetée des débats, de sorte que, si la faute à l’origine du licenciement n’était établie qu’au moyen de cette preuve illicite, le licenciement se trouvait nécessairement sans cause réelle et sérieuse (Soc.,8 octobre 2014, pourvoi n° 13-14.991).
Avec cet arrêt, la chambre sociale assouplit sa jurisprudence, et s’inspirant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme admet que l’illicéité d’un tel moyen de preuve n’entraîne pas systématiquement son rejet mais que le juge du fond doit rechercher dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité si l’atteinte portée à la vie personnelle du salarié par une telle production est justifiée au regard du droit à la preuve de l’employeur. Elle précise par ailleurs que cette production doit être indispensable et non plus seulement nécessaire à l’exercice de ce droit.
Source :
Cass. soc. 25 novembre 2020